LIBÉRATION

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Auteur associé au Théâtre national de Strasbourg, Jacques Rebotier est également compositeur auprès du Quartz de Brest et cet automne metteur en scène aux Amandiers de Nanterre. Il y a quelque temps, il était aussi poète résident à Marseille. Ces grands écarts géographico-artistiques enchantent Rebotier, musicien ­ et musicologue ­ hanté par les mots, écrivain taraudé par les sons, adepte du croisement et des chemins détournés.

 

Vous avez commencé par la musique ?

 

Je n'étais pas particulièrement doué, mais j'ai eu un prof de piano génial. Très tôt, je me suis mis à griffonner des textes et des notes de musique, séparément. J'ai fait beaucoup de classique, j'étais attiré par la musique orientale, beaucoup moins par le contemporain. J'admirais certaines oeuvres, mais je trouvais le milieu trop étroit, desséché, plein de tabous et de non-dits étouffants. 

 

Et vous avez aussi suivi des études de musicologie... Comment êtes-vous venu au théâtre?

 

Quand j'écrivais des textes, des poèmes, j'avais envie de musique. Et quand je composais de la musique, j'avais envie de mots. Mais je m'interdisais de le faire, je mettais cela sur le compte de ma dispersion naturelle que je voyais comme un défaut. Le déclic a été P (l) ages, une pièce musicale que l'on m'a commandée, avec Michael Lonsdale en récitant. A partir de là, j'ai cessé de m'empêcher. Et tout s'est croisé. J'ai mis des concerts en espace, donné des indications musicales aux acteurs, et compris que j'avais envie de montrer des signes. J'aime la confrontation des formes hyper-écrites et hyper-improvisées. J'aime être dehors et dedans. Je sens mal les frontières et les catégories.

 

Ce qui vous amène à brouiller les pistes ?

 

J'ai fait par exemple un disque avec une musique pour orgue de barbarie, où l'on peut trouver un bulletin météo délirant, uniquement compréhensible par les gens qui connaissent le morse. J'adore les couches de sens. La vie est faite de ça: des émotions qui cachent une réflexion qui cache, etc. On voit très bien ce jeu d'ombres dans la façon dont fonctionne le social. Je rêverais un jour d'assister au forum de Davos, cette réunion où les maîtres du monde se retrouvent. C'est fascinant d'imaginer que leur seule préoccupation est: comment arriver à faire avaler que le but des sociétés n'est pas de rendre les gens heureux mais de faire que certains soient plus riches ? On se fait sans cesse berner et, pour arriver à décrypter, il faut soi-même composer du complexe, proposer du complexe de façon simple. Le biologiste Henri Laborit m'a ouvert pas mal de choses avec ses notions de niveaux d'organisation différents.

 

On ne sort pas de l'alchimie ?

 

Un mot peut en cacher un autre. Tout est bon : jeux de mots, acrostiches et contrepèteries, si elles sont à double sens. Par exemple ce dialogue: « J'aurais tant voulu que ce soit toi mon prince marchant/ Et toi ma belle au bois mordant ». Avec tous les renvois entre marcher/charmer/dormir/mordre. Dans le programme d'Éloge de l'ombre, j'ai parlé de « cacher ce que l'on montre ». C'est une expression qui renvoie directement à une phrase du spectacle Vendange tardive, où il était question de « cracher ce que l'on monte ». La question est toujours: comment introduire du désordre au coeur de l'ordre, et refabriquer de l'ordre? C'est la question centrale de l'Éloge de l'ombre.

 

René Solis

 

21 Octobre 1997