MOUVEMENT.NET : "De l'omme" au Théâtre de Chaillot Jacques Rebotier

A l'heure du portable et du jetable, de l'écriture SMS et de la culture vendue en caddies de supermarchés, Jacques Rebotier nous convie, en une fresque baroque pleine d'humour et de légèreté, à une vivisection en règle du genre humain (pardon : umain)... A moins qu'il ne s'agisse d'une dissection.

 

Le chirurgien, c’est Rebotier, bien sûr et scalpel il y a. Le poète et metteur en scène élabore une observation perspicace et réglée du genre « umain », une fois sa disparition avérée : qu’en reste-t-il au regard d’une marionnette en toile de jute et d’un chien-robot animé, tous deux dotés de conscience ?
Prisme déformant qui modèle et questionne, pour un bilan, les vestiges d’une civilisation au déclin et à la mort annoncés. En une succession-patchwork de tableaux jubilatoires, les personnages nous offrent cette vision forcément lacunaire relevant de la fouille archéologique. Ils restituent, à partir de suppositions, pistes et démonstrations scientifico-imaginés, les coutumes de cette étrange espèce. Kaleidoscope d’une myriade de petites mises en lumière sur le pourquoi du comment. Ils nous régalent de truculentes leçons d’anatomie, où l’on s’incline devant la véracité d’axiomes tels que : « L’omme est un tuyau pour l’omme : sa nature est le vide » ou encore : « c’est par l’anus et le pet que s’exprime sa pensée »… En leitmotiv : Saint Nicolas, devenant Santa Claus puis Père Noël une fois l’Atlantique traversée et la société de consommation définitivement instaurée. La légende fondatrice est déformée, remise au goût du jour : « Il était trois petits enfants qui kiffaient chourrer à Auchan ». Le Père Noël devient un affreux Père Ubu version américaine, à la libido douteuse, se pourléchant les babines devant le strip-tease d’une pin-up Marylin sur un écran de télévision. Vision cathodique pop et nocturne pour une société en décomposition, où l’on s’amuse comme des enfants,  dans l’insouciance la pus totale… Efficace tohu-bohu doté d’un insolite recul qui ajoute à la pugnace véracité de cette vision de dépravation et de fin du monde.

 

Ici, théâtre et musique se mêlent en un admirable et joyeux naturel. Une fée-contrebassiste apparaît et disparaît, chante et donne la réplique aux comédiens. Comptines,  chansons, airs d’opéra, opérette et comédie musicale s’entrecroisent, mouvementés et poétiques brins de folie jouant du ridicule et du grotesque. Jacques Rebotier fait feu de tout bois. Il utilise à merveille les qualités de chacun de ses interprètes, leur taillant des rôles sur mesure. Chacun de ses personnages est empreint d’une infinie tendresse. Elise Caron est fantastique, auxbrillantes facettes de comédienne-chanteuse aguerrie, tour à tour sérieuse, facétique, voire franchement gouailleuse… Les discours se distendent, en sinuosités à multiples esprits d’escalier ; toutes les grandes démonstrations se cassent la figure. Gilles Privat nous offre un magnifique monologue, émouvant et à se tordre de rire sur ces indispensables auxiliaires que sont les verbes être et avoir. Décors, scénographie et lumières ajoutent poésie et onirisme à ce voyage au Pays des Merveilles-z-umaines. Des toiles tendues font écran, tour à tour surfaces de projections, lieux d’impressions ou d’évanouissements de la lumière, structures mouvantes modelant l’espace scénique avec jeux de transparences.

On l’aura compris, De l’omme est une comédie-parodie dramatique, une fresque baroque où l’humour le dispute à la légèreté pour l’évocation d’un sujet plutôt noir. C’est un conte philosophique décapant, indispensable à l’approche de Noël car bienfaisant pour l’esprit, plein de lucidité et de drôlerie, réunissant Candide et Cassandre pour une vibrante démonstration à valeur de signal d’alarme. Avec Jacques Rebotier, l’Umanité perd la « hache » du discernement, celle-là même qui aurait pu lui permettre de trancher entre l’une ou l’autre route, alors que le train (de vie) dans lequel elle s’est embarquée la fait foncer droit dans le mur. Sarah Fourage, poignante Cassandre désabusée au langage moderne, incarne cette conscience d’un destin qui ne peut être que désastreux : « J’vous l’avais dit… Vous êtes des nazes ! ».

 

 

Catherine Heyden
(14 décembre 2006)

 

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