LA TERRASSE : Les trois parques m'attendent dans le parking

Trois filles et trois valises, une iconoclastie jubilatoire, une heuristique en musique : Jacques Rebotier résiste au chaos par la déconstruction, orchestrée avec fantaisie, insolence et humour.

 

Elles cardent la laine, la filent au fuseau, la mettent en pelotes et la coupent. Elles sont trois, sagement assises en rang derrière un tulle transparent. On pourrait les croire sortie d’une pastorale ou d’un mythe antique, mais ces trois-là n’ont rien de bucolique et plus grand chose à voir avec les tisseuses ancestrales du destin. Et si Jacques Rebotier file quelque chose, en malicieux berger de l’être, amoureux du langage, rétif aux instincts grégaires de ses contemporains bêlants, c’est davantage la métaphore que la toison des moutons. Dans un espace qui hésite entre la cave et le parking, où les lumières de Bertrand Couderc s’amusent à dessiner les zones de jeu, Caroline Espargilière, Nicole Genovese et Vimala Pons trimbalent leurs valises à roulettes phosphorescentes, d’où elles puisent les accessoires rigolards de leurs saynètes plaisamment délirantes : masques, couvre-chefs et pommes, dont elles usent avec un art consommé du détournement. Guillaume Tell croise Macrobe, Saint Augustin devient Giscard d’Estaing, Lady Gaga fraie avec François Hollande, et les agences de notation superposent leur discours formaté à celui des conversations par sms…

 

Au fil des mots

Staccato ou legato, ensemble ou séparément, en canon ou en chœur, les trois commères tranchent des pommes à la hache ou les utilisent comme des grenades explosives. Elles interprètent la partition de l’auteur et musicien Rebotier en fildeféristes, jouant de la syncope, de l’art de la chute et du rebond. Sous l’apparence foutraque et potache de ce spectacle qui semble se moquer de tout, perce un amour de la langue et du sens, revivifié et vivifiant. Même si la leçon de philologie est vite évacuée pour ne pas paraître pesante à ceux qui ne savent plus ce que les mots veulent dire, même si le savant Rebotier joue au clown pour dénoncer les errements d’un monde où les puissants comme le vulgaire atteignent les abysses de l’inanité à force de superficialité, il parvient à amuser autant qu’à faire penser. « Du mécanique plaqué sur du vivant », disait Bergson du rire : en débrouillant l’écheveau de nos propos quotidiens, en en désossant la structure musicale pour mieux la recomposer, Jacques Rebotier et ses trois parques fabriquent une machine désopilante, aussi jouissive qu’intelligente.

 

Catherine Robert

(23 janvier 2012)

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