LIBERATION : Le verbe plus haut

Un vrai spectacle de cirque à partir d’un texte de Rebotier : « (voir plus haut) » par les élèves du CNAC.

 

Ce n’est ni un examen de promotion ni un numéro de cirque d’hier ou de demain. c’est juste un « voyage drolatique et caustique sur la mer ». sous le chapiteau du parc de la Villette, treize moussaillons du Centre national des arts du cirque (Cnac) étarquent la grande-voile d’un spectacle en partance pour des terres improbables. « Allons-y, allons-y ! », s’encouragent les marins d’eau douce qui, pour la première fois, affrontent l’eau salée – l’émotion lacrymale d’une représentation publique. En fond de scène, une voile se hisse, que survole un voltigeur, puis un énorme tibia… Une heure et demie plus tard, l’équipage touchera la terre ferme, en entonnant un negro spiritual en russe…

Entre Prévert et Dubillard.
Une nouvelle fois, les Circassiens du Cnac, après quatre ans d’école, livrent un objet artistique non identifié. Après avoir fait appel aux chorégraphes Josef Nadj (le Cri du camaléon) et François Verret (Sur l’air de Malbrough), au metteur en scène Guy Alloucherie (C’est pour toi que je fais ça), le Cnac est allée chercher Jacques Rebotier. Écrivain, poète, homme de théâtre, compositeur (y compris d’un requiem), grand jongleur polymorphe devant l’Eternel, Rebotier est capable de faire d’un mot toute une histoire et inversement. Entre Prévert et Dubillard, l’humour est sa baguette magique. Autant de cordes que l’espiègle musico-théâtro-plasticien à voulu faire vibrer dans (voir plus haut) à partir d’un texte très écrit. Une musique verbale qui, roulant nos flancs, est le véritable océan que traverse la joyeuse équipée, avec des fortunes diverses.

Quand il soliloque, le verbe de Rebotier se perd parfois dans les limbes, d’autant plus qu’il s’exprimer dans un vaste espace sonore où les voix se frayent difficilement leur chemin. Mais lorsque les mots jouent à dérégler les corps, la magie est là. Tout le spectacle navigue dans ce double courant, dans un jeu subtil dont Rebotier ne cache pas qu’il fut difficile à mettre en place. « Mes textes ont pu parfois paraître contraignants. Mais il ne sont jamais que des supports à l’imaginaire, le but étant de sortir d’installer une dramaturgie sous le côté surligné propre au cirque. » Ainsi imprime-t-il un mouvement de houle fait de flux et de reflux, de moments collectifs et individuels, d’humour et de gravité, d’espace plein et vide, qui parvient finalement à tisser une communauté de destins entre les artistes.
Sérieux de la dérision. Des sémaphores illuminent la nuit. Une corde monte au ciel comme le serpent du charmeur. Un journal de bord s’égrène en sauts périlleux… tous s’affairent autour de la métaphore maritime voulue par Rebotier. « Un bateau : c’est la première image que j’ai à l’intérieur d’un cirque, avec toutes ses cordes et ses grééments. » Gare à la vague et aux creux ! Le sel du spectacle vient surtout de ce que l’équipage n’est jamais dupe de sa mission et qu’il ne se prend jamais plus au sérieux que lorsqu’il touche la dérision. Ainsi après un prologue très « causant » où l’on cherche le but du voyage, l’un des protagonistes s’exclame : « Je pars pour dépenser, pour me dépenser, pour plus trop penser !... »

Echelle de corde humaine.
Resté à quai, un homme en ciré joue avec le sable : c’est Damien Fournier, acrobate, qui s’est blessé lors des premières représentations à Châlons-en-Champagne. Il incarne à sa façon l’autre métaphore du spectacle, chère au metteur en scène : celle de la chute, qui oblige au dépassement de soi pour « tomber vivant ». Rebotier : « Entre la naissance et la mort, il y a juste un petit saut. Mais ce saut doit être le plus beau possible pour être un hymne à la vie. » Et les moments de grâce ne manquent pas entre début et fin de (voir plus haut), jamais pontifiants, ouvragés et ludiques. c’est une échelle de corde humaine qui tombe du ciel. C’est une scène de ménage vertigineuse menée par Fanny Soriano, 20 ans, autour d’une corde lisse, avec son partenaire Dirk Schambacher, 27 ans. C’est le doigté complice de deux jongleurs farceurs, Denis Paumier et Toon Schuermans, 24 ans tous les deux. C’est la quête proclamée : « Je cherche un zumain avec plein de vie autour ! » C’est ce cri lancé dans un dernier saut périlleux : « Que le grand cirque me croque ! » Avec cette judicieuse question en suspens, qui nous est posée : « Un Circassien s’est caché dans ce dessin. Saurez-vous le retrouver ? »

 

François Devinat
(7 février 1999)
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