LE JOURNAL DU THEÂTRE : Jacques Rebotier : suractif malgré lui

Jacques Rebotier compositeur et poète est aussi un homme de théâtre à part entière, à la fois auteur dramatique et metteur en scène. Pour découvrir quelques échantillons de son œuvre, on peut actuellement aller au Théâtre de la Bastille ou aux Amandiers de Nanterre. Rencontre avec un artiste complet et surprenant.

 

Cet homme est fou ! En tout cas, Jacques Rebotier, petit homme au regard intense, n’a pas le cerveau de tout le monde. Il est poète et compositeur : à Notre-Dame-de-Pontoise, le 25 avril, on va jouer son Requiem et l’Orchestre symphonique de Radio-France attend sa prochaine œuvre. Pourtant, c’est l’auteur-metteur en scène que nous rencontrons à la Bastille, au moment où il dirige les répétitions de Réponse à la question précédente et quelques semaines avant la reprise de son autre pièce Vengeance tardive, créée au théâtre national de Strasbourg et accueillie à Nanterre.

 

Réponse à la question précédente est, précisément, une histoire de cerveau, Marie Pillet, Vincent Ozanon, Virginie Rochetti et Emmanuelle Zoll jouent ce délire qui se « déroule successivement dans une boîte de crâne, un boîte de scène et la boîte de l’univers ». On avait déjà vu la pièce à l’Athénée, en 1993. Il s’agit, cette fois, d’une nouvelle mise en scène.

Comment Rebotier compositeur et poète est-il passé au théâtre ? En disant ses textes et « en prenant en compte les gestes des musiciens au moment d’interpréter ses œuvres ». Après quelques tentatives discrètes, il présente l’un de ses essais dramatiques à l’Athénée. Aussitôt, le directeur du théâtre, Patrice Martinent, le programme plusieurs semaines. Il a bien fait d’abandonner son métier d’inspecteur de la musique, au ministère de la Culture !

« Je travaille sur une même matière qui change de forme, dit-il. Et changer de forme me repose de la forme précédente ». Son modèle pourrait être Guillaume de Machaut, poète et musicien du XIV siècle, qui passait sans cesse du verbe à la musique. Il mélange les jeux des mots avec les jeux des sons. Dans ses mises en scène (il a aussi monté l’an dernier Éloge de l’ombre, de Tanizaki, avec Dominique Reymond, à Nanterre), il se passionne pour le rythme. « La gestion du tempos, c’est l’essentiel pour la dramaturgie et la direction d’acteurs », affirme-t-il, en désaccord avec tous ceux qui laissent le temps filer.

Il déborde d’idées. Le soir des dernières de ses spectacles, il organise ce qu’il appelle un plateau fendu : « on casse la scène et l’on se sert de tous les débris du texte et du décor ; n’y participent que ceux qui sont restés dans l’ombre, auteur, décorateur, régisseur, éclairagiste, techniciens. » (A la Bastille, ce sera le 20 mai). Il voudrait monter des textes de Pline l’Ancien, du mouvement Dada et de Shakespeare : « Shakespeare, toutes ces ruptures de ton, c’est la vie ! C’est du chaos, mais ordonné. » Il va lancer, à Nanterre, un « théâtre des questions » pour lequel seront recueillies des demandes du monde entier, placées dans des « boîtes aux lettres-sculptures » puis redigérées dans un spectacle bouclé par un grand monologue « pour un locuteur terminal »… Ballotté entre Strasbourg, Nanterre, Paris, Douai (où il vient de participer aux Météores), il dit « avoir du mal à se poser » : « j’ai une image de suractif, qui ne correspond pas à mon vrai tempérament. J’aimerais travailler dans un seul endroit. Dans la réalité, les résidences qu’on propose aux artistes, c’est bidon ». Peut-être est-ce difficile de garder longtemps un artiste aussi inattendu et inventif fondateur de la compagnie « voQue » « comme voix, invocation et équivoque » ?

 

Gilles Costaz
(27/04/1998)

 

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